© Marie-Amélie Tek 2022-2023
La Métamorphose
Tu peux tordre au pied des tiges
L’élastique de ton cœur
Ce n’est pas comme chenille
Que tu connaîtras les fleurs
Quand s’annonce à plus d’un titre
Ta ruée vers le bonheur
Il frémit et d’un seul bond
Rejoignit les papillons
La Métamorphose, Francis Ponge, avril 1944
La Grande Arche
Puis Dieu se résolut à ne plus jamais maudire la terre à cause de l’homme, et à ne plus jamais détruire toute vie de cette manière. En signe de cette promesse, Dieu mit un arc-en-ciel dans les nuages et déclara : « lorsque j’assemblerai les nuées sur la terre et que l’arc apparaîtra dans la nuée, je me souviendrai de l’alliance qu’il y a entre moi et vous et tous les êtres vivants ».
Genèse 9 : 14 ~ 15
Que l’homme apprenne à chercher le permanent dans le changement et l’éphémère ; qu’il apprenne à supporter la disparition des choses qu’il avait coutume de respecter sans perdre son respect ; qu’il apprenne qu’il se trouve ici, non par pour agir, mais pour être agi ; et que, bien qu’un abîme s’ouvre sur un autre abîme, que l’opinion fasse changer l’opinion, tous sont, en définitive, contenus dans la Cause éternelle.
« Si ma barque sombre, c’est pour une autre mer. »
Montaigne, ou le sceptique, Emerson
La Danse du Tigre
Je danse sur la peau de Shere Khan, mais mon cœur est très lourd. Les pierres du village ont frappé ma bouche et l’ont meurtrie. Mais mon cœur est très léger, car je suis revenu à la Jungle. Pourquoi ?
Ces deux choses combattent en moi comme les serpents luttent au printemps. L’eau tombe de mes yeux, et pourtant je ris. Pourquoi ?
Je suis deux Mowgli, mais la peau de Shere Khan est sous mes pieds. Toute la jungle sait que j’ai tué Shere Khan. Regardez, regardez bien, ô loups!
Ahae ! Mon cœur et lourd de choses que je ne comprends pas.
La chanson de Mowgli, Telle qu’il la chanta au Rocher du Conseil lorsqu’il dansa sur la peau de Shere Khan
Le Livre de la jungle, Rudyard Kipling
Les émerveillés dans la Symphonie universelle
Les Jeunes Filles
Que possède-t-il de plus qu’un autre, ton bien-aimé, ô incomparable, et pourquoi nous supplier ainsi ?
La Sulamite
Mon bien-aimé est blanc et vermeil. On le reconnaît entre dix mille.
Son visage est doré.
Les boucles de sa chevelure ont les reflets de l’aile du corbeau.
Ses yeux sont de longs diamants entre des clématites bleues.
Ses joues sont deux buissons de roses.
Sa bouche est une fleur de grenadier qui distille du benjoin.
Ses doigts sont des tiges d’iris, annelés de topazes.
Sa poitrine est un parvis de marbre où miroite une poussière de saphirs.
Ses jambes sont des colonnes d’ivoire qui soutiennent une arche d’or.
Mon bien-aimé a l’aspect du Liban, et il est svelte comme un sabre. Sa petite maison est le temple du bonheur. Tel est mon ami, tel est mon bien-aimé, filles de Jérusalem !
Cantique des Cantiques (Ancien Testament), chapitre 5, versets 9 à 16. Traduit de l’hébreu par Franz Toussaint.
« Mon chant a dépouillé ses parures. Je n’y mets plus d’orgueil. Les ornements gêneraient notre union […].
Que simplement je fasse de ma vie une chose simple et droite, pareille à une flûte de roseau que tu puisses emplir de musique. »
L’Offrande lyrique, Rabindranath Tagore
« Mais déjà il tournait, mon désir et vouloir
tout comme roue et également poussée,
l’amour qui meut le soleil et les autres étoiles. »
La Divine Comédie (Paradis, XXXIII, 143-145), Dante
Le Monde, des astres et des hommes
Le monde est fait avec des astres et des hommes.
Là-haut,
Depuis quels temps à tout jamais silencieux,
Là-haut,
En quels jardins profonds et violents des cieux,
Là-haut,
Autour de quels soleils,
Pareils
à des ruches de feux,
Tourne, dans la splendeur de l’espace énergique,
L’essaim myriadaire et merveilleux
Des planètes tragiques ?
Tel astre, on ne sait quand, leur a donné l’essor
Ainsi qu’à des abeilles ;
Et les voici, volant parmi les fleurs, les treilles
Et les jardins de l’éther d’or ;
Et voici que chacune, en sa ronde éternelle,
Qui s’éclaire la nuit, qui se voile le jour,
Va, s’éloigne, revient, mais gravite toujours,
Autour de son étoile maternelle.
Ô ce tournoiement fou de lumières ardentes !
Ce grand silence blanc et cet ordre total
Présidant à la course effrénée et grondante
Des orbes d’or, autour de leur brasier natal ;
Et ce pullulement logique et monstrueux ;
Et ces feuilles de flamme, et ces buissons de feux
Poussant toujours plus loin, grimpant toujours plus haut,
Naissant, mourant, ou se multipliant eux-mêmes
Et s’éclairant et se brûlant entre eux,
Ainsi que les joyaux
D’un insondable étagement de diadèmes.
La terre est un éclat de diamant tombé,
On ne sait quand, jadis, des couronnes du ciel.
Le froid torpide et lent, l’air humide et plombé
Ont apaisé son feu brusque et torrentiel ;
Les eaux des océans ont blêmi sa surface ;
Les monts ont soulevé leur échine de glaces ;
Les bois ont tressailli, du sol jusques au faîte,
D’un rut ou d’un combat rouge et noueux de bêtes ;
Les désastres croulant des levants aux ponants
Ont tour à tour fait ou défait les continents ;
Là-bas où le cyclone en ses colères bout,
Les caps se sont dressés sur le flot âpre et fou ;
L’effort universel des heurts, des chocs, des chutes,
En sa folie énorme a peu à peu décru
Et lentement, après mille ans d’ombre et de lutte,
L’homme, dans le miroir de l’univers, s’est apparu.
Il fut le maître
Qui, tout à coup,
Avec son torse droit, avec son front debout,
S’affirmait tel-et s’isolait de ses ancêtres.
Et la terre, avec ses jours, avec ses nuits,
Immensément, à l’infini,
De l’est à l’ouest s’étendit devant lui ;
Et les premiers envols des premières pensées
Du fond d’une cervelle humaine
Et souveraine
Eut lieu sous le soleil.
Les pensées !
Ô leurs essors fougueux, leurs flammes dispersées,
Leur rouge acharnement ou leur accord vermeil !
Comme là-haut les étoiles criblaient la nue
Elles se constellaient sur la plaine inconnue ;
Elles roulaient dans l’espace, telles des feux,
Gravissaient la montagne, illuminaient le fleuve
Et jetaient leur parure universelle et neuve
De mer en mer, sur les pays silencieux.
Mais pour qu’enfin s’établît l’harmonie
Au sein de leurs tumultes d’or
Comme là-haut toujours, comme là-haut encor,
Pareils
A des soleils,
Apparurent et s’exaltèrent,
Parmi les races de la terre,
Les génies.
Avec des cœurs de flamme et des lèvres de miel,
Ils disaient simplement le verbe essentiel,
Et tous les vols épars dans la nuit angoissée
Se rabattaient vers la ruche de leur pensée.
Autour d’eux gravitaient les flux et les remous
De la recherche ardente et des problèmes fous ;
L’ombre fut attentive à leur brusque lumière ;
Un tressaillement neuf parcourut la matière ;
Les eaux, les bois, les monts se sentirent légers
Sous les souffles marins, sous les vents bocagers ;
Les flots semblaient danser et s’envoler les branches,
Les rocs vibraient sous les baisers de sources blanches,
Tout se renouvelait jusqu’en ses profondeurs :
Le vrai, le bien, l’amour, la beauté, la laideur.
Des liens subtils faits de fluides et d’étincelles
Composaient le tissu d’une âme universelle
Et l’étendue où se croisaient tous ces aimants
Vécut enfin, d’après la loi qui règne aux firmaments.
Le monde est fait avec des astres et des hommes.
Le Monde, Emile Verhaeren
« Tourne ton regarde de l’extérieur vers l’intérieur
Et fixe-le sur ton Soi le plus intérieur. »
Prenant à cœur ce précepte,
Je me mis à danser nue.
Yogini, Lalla Yoghiswari
Noces
Nous marchons à la rencontre de l’amour et du désir.
C’est le grand libertinage de la nature et de la mer qui m’accapare tout entier. Dans ce mariage des ruines et du printemps, les ruines sont redevenues pierres, et perdant le poli imposé par l’homme, sont rentrées dans la nature.
Enfoncé parmi les odeurs sauvages et les concerts d’insectes somnolents, j’ouvre les yeux et mon cœur a la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. Ce n’est pas facile de devenir ce qu’on est, de retrouver sa mesure profonde.
Sous le soleil du matin, un grand bonheur se balance dans l’espace.
Je comprends ici ce qu’on appelle gloire : le droit d’aimer sans mesure.
Pourtant, on me l’a souvent dit : il n’y a pas de quoi être fier. Si, il y a de quoi : ce soleil, cette mer, mon cœur bondissant de jeunesse, mon corps au goût de sel et l’immense décor où la tendresse et la gloire se rencontrent dans le jaune et le bleu. C’est à conquérir cela qu’il me faut appliquer ma force et mes ressources. Tout ici me laisse intact, je n’abandonne rien de moi-même, je ne revêts aucun masque : il me suffit d’apprendre patiemment la difficile science de vivre qui vaut bien tout leur savoir-vivre.
[…] nous étalons tous l’heureuse lassitude d’un jour de noces avec le monde.
[…] je ne peux m’empêcher de revendiquer l’orgueil de vivre que le monde entier conspire à me donner.
Il y a un temps pour vivre et un temps pour témoigner de vivre. Il y a aussi un temps pour créer, ce qui est moins naturel. Il me suffit de vivre de tout mon corps et de témoigner de tout mon cœur.
Non, ce n’était pas moi qui comptais, ni le monde, mais seulement l’accord et le silence qui de lui à moi faisait naître l’amour. Amour que je n’avais pas la faiblesse de revendiquer pour moi seul, conscient et orgueilleux de le partager avec toute une race, née du soleil et de la mer, vivante et savoureuse, qui puise sa grandeur dans sa simplicité et debout sur les plages, adresse son sourire complice au sourire éclatant de ses ciels.
Noces à Tipasa, Albert Camus
N’est-ce pas ? en dépit des sots et des méchants
Qui ne manqueront pas d’envier notre joie,
Nous serons fiers parfois et toujours indulgents.
N’est-ce pas ? nous irons, gais et lents, dans la voie
Modeste que nous montre en souriant l’Espoir,
Peu soucieux qu’on nous ignore ou qu’on nous voie.
Isolés dans l’amour ainsi qu’en un bois noir,
Nos deux cœurs, exhalant leur tendresse paisible,
Seront deux rossignols qui chantent dans le soir.
Quant au Monde, qu’il soit envers nous irascible
Ou doux, que nous ferons ses gestes ? Il peut bien,
S’il veut, nous caresser ou nous prendre pour cible.
Unis par le plus fort et le plus cher lien,
Et d’ailleurs, possédant l’armure adamantine,
Nous sourirons à tous et n’aurons peur de rien.
Sans nous préoccuper de ce que nous destine
Le Sort, nous marcherons pourtant du même pas,
Et la main dans la main, avec l’âme enfantine
De ceux qui s’aiment sans mélange, n’est-ce pas ?
Paul Verlaine
Nous deux nous tenant par la main
Nous nous croyons partout chez nous
Sous l’arbre doux sous le ciel noir
Sous tous les toits au coin du feu
Dans la rue vide en plein soleil
Dans les yeux vagues de la foule
Auprès des sages et des fous
Parmi les enfants et les grands
L’amour n’a rien de mystérieux
Nous sommes l’évidence même
Les amoureux se croient chez nous.
Nous deux, Le Phénix, Paul Eluard