Solitude_récif_étoile

Solitude_récif_étoile

A suivre jusqu’à la fin qui est le début

© 2021

 
 

Salut


Rien, cette écume, vierge vers
A ne désigner que la coupe ;
Telle loin se noie une troupe
De sirènes mainte à l’envers.

Nous naviguons, ô mes divers
Amis, moi déjà sur la poupe
Vous l’avant fastueux qui coupe
Le flot de foudres et d’hivers ;

Une ivresse belle m’engage
Sans craindre même son tangage
De porter debout ce salut

Solitude, récif, étoile
A n’importe ce qui valut
Le blanc souci de notre toile.

Salut, Stéphane Mallarmé, 1893
 
 

La tapisserie de Notre Dame


Un homme de chez nous, de la glèbe féconde
A fait jaillir ici d’un seul enlèvement,
Et d’une seule source et d’un seul portement,
Vers votre assomption la flèche unique au monde.

Tour de David voici votre tour beauceronne.
C’est l’épi le plus dur qui soit jamais monté
Vers un ciel de clémence et de sérénité,
Et le plus beau fleuron dedans votre couronne.

Un homme de chez nous a fait ici jaillir,
Depuis le ras du sol jusqu’au pied de la croix,
Plus haut que tous les saints, plus haut que tous les rois
La flèche irréprochable et qui ne peut faillir….

La Tapisserie de Notre Dame, Charles Péguy, 1913
 
 

Champion solaire


Les ruisseaux se sont réveillés.
La voix moins claire s’entrelace à la plus claire
comme se tressent leurs rapides eaux.

Pour qu’on me lie avec des liens pareils,
je veux bien tendre les deux mains.

Ainsi lié, je me me délivre de l’hiver.

Vert, rose et bleu
dans l’éclat violent du jour.

Vert, rose et bleu,

nouez-vous en écharpe à l’épaule du champion solaire
debout, lance au poing, dans l’arène des moissons.

Le dernier livre de Madrigaux
, Philippe Jaccottet

 
 

Scènes de la nature


Je quittai Philadelphie à 4 heures du matin, par le coche, n’emportant avec moi que le bagage strictement nécessaire pour l’expédition projetée ; c’est-à-dire une boîte qui contenait un petit paquet de linge, du papier à dessiner, mon journal, des couleurs et des pinceaux, plus vingt-cinq livres de plomb, mon fusil tear-jacket, quelques pierres, un peu d’argent, et par-dessus tout, un cœur plus que jamais enthousiaste de la nature.

Le grand marais de pins de la Pennsylvanie, Audubon
 
 

Un balcon en forêt


Le monde s’est desserré à quelques uns de ses joints essentiels ; soudain le cœur bondit, la possibilité explose : les grandes routes, un instant, s’ouvrent aux « grands indésirables ».
[…] Le calme était absolu – le silence et le froid au cœur pénétrant du petit jour donnaient à l’aube qui se levait une teinte bizarre de solennité : ce n’était pas le jour qui pénétrait la terre, mais plutôt une attente pure qui n’était pas de ce monde, le regard d’un œil entr’ouvert, où flottait vaguement une signification intelligible. « Une maison, songeait-il, comme s’il la voyait pour la première fois – une fenêtre toute seule en face d’une route par où quelque chose doit arriver. »

Un balcon en forêt, Julien Gracq
 
 

Vie de poète


Je poursuivis ma route avec entrain, et tout en allant de la sorte, il me sembla qu’avec moi, c’était, dans sa rondeur, le monde entier qui bougeait imperceptiblement. Tout avait l’air de marcher avec le marcheur : prés, champs, forêts, labours, montagnes, et jusqu’à la route elle-même.
Je me sentis alors l’esprit divinement libre et le cœur content. J’allais d’un pas hardi, dégagé en même temps que vif, passant devant toutes sortes de gens qui me saluaient parfois aimablement, moi, jeune et fringant voyageur, vagabond vagabondant.
Tantôt je me trouvais dès l’aurore en pleine lumière, dans la riante clarté du jour ; et tantôt, tard le soir, dans la pâle lueur spectrale du crépuscule sur quelque éminence bizarre et biscornue, et j’avais à mes pieds soit le pays du matin, soit celui du soir.

Robert Walser, 1917

 
 

Le pays des Rêves


Veux-tu qu’au beau pays des Rêves
Nous allions la main dans la main ?
Plus haut que l’odeur du jasmin,
Plus loin que la plainte des grèves,
Veux-tu, du beau pays des Rêves,
Tous les deux chercher le chemin ?

J’ai taillé dans l’azur les toiles
Du vaisseau qui nous portera,
Et doucement nous conduira
Jusqu’au verger d’or des étoiles.
J’ai taillé dans l’azur les toiles
Du vaisseau qui nous conduira.

Mais combien la terre est lointaine
Que poursuivent ses blancs sillons !
Au caprice des papillons
Demandons la route incertaine :
Ah ! combien la terre est lointaine
Où fleurissent nos visions !

Vois-tu le beau pays des Rêves
Est trop haut pour les pas humains.
Respirons à deux les jasmins
Et chantons encor sur les grèves.
— Vois-tu : — le beau pays des Rêves,
L’amour seul en sait les chemins !

Les Ailes d’or : poésies nouvelles, 1878-1880, Armand Silvestre

 
 

Elévation


Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,

Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde,
Tu sillonnes gaiement l’immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;
Va te purifier dans l’air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
S’élancer vers les champs lumineux et sereins ;

Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
– Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes !

Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire

 
 

Le corps et l’âme


Dans la nuit, vers une aube aux divines rougeurs,
Marchez sur le sentier de la bonne habitude,
Soyez de patients et graves voyageurs.

La Doctrine de l’Amour, Germain Nouveau
 
 

Liberté


[…]
J’écris ton nom

Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom

Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom

Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom

Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom

Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom

Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom

Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom

Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom

Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom

Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom

Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom

Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom

Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté.

Poésie et vérité 1942, Paul Eluard

 
 

Sensation


Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.

Arthur Rimbaud, mars 1870

 
 

Départ


[…]
Moi je pars, moi je passe,
Comme à travers les champs un filet d’eau s’en va ;
Comme un oiseau s’enfuit, je m’en vais dans l’espace
Chercher l’immense amour où mon cœur s’abreuva.

Charme des blés mouvants ! fleurs des grandes prairies !
Tumulte harmonieux élevé des champs verts !
Bruits des nids ! flots courants ! chantantes rêveries !
N’êtes-vous qu’une voix parcourant l’univers ?
[…]

Départ de Lyon, Marceline Desbordes-Valmore

 
 

In Paradisum


Mais déjà il tournait, mon désir et vouloir
tout comme roue et également poussée,
l’amour qui meut le soleil et les autres étoiles.

Paradis, XXXIII, La Divine Comédie, Dante
 
 

Fou


Mais, je ne suis qu’un fou, je danse,
Je tambourine avec mes doigts
Sur la vitre de l’existence.

Les Valentines, Germain Nouveau
 
 

La lyre universelle


C’était une mélodie légère, douce et presque naturelle, digne d’importation dans la nature sauvage. A partir d’une certaine distance, ce son filtré par la forêt se pare d’une sorte de vrombissement vibratoire, comme si les aiguilles de pins qui se découpent à l’horizon étaient des cordes d’une harpe que cette onde animerait. Tout son perçu à la distance la plus grande possible produit toujours un seul et même effet : une vibration de la lyre universelle – exactement comme l’atmosphère interstitielle rend une crête de montagne passionnante à nos yeux par la nuance d’azur dont elle vient la teinter. Me parvenait alors une mélodie tout étirée par l’air, une mélodie qui avait conversé avec chaque feuille et chaque aiguille de la forêt ; me parvenait cette fraction du son que les éléments avaient extraite, et modulée, et renvoyée en écho de vallée en vallée. L’écho d’un son devient dans une certaine mesure un son original, et c’est en cela que réside sa magie et son charme. Ce n’est pas la simple répétition de ce qui valait la peine d’être répété dans le son de la cloche ; c’est aussi partiellement la voix de la forêt – et les mêmes phrases et les mêmes notes triviales, chantées par une nymphe sylvestre.

Walden, Henry David Thoreau
 
 

L’heure exquise


La lune blanche
Luit dans les bois ;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée…

Ô bien-aimée.

L’étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure…

Rêvons, c’est l’heure.

Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l’astre irise…

C’est l’heure exquise.

La lune blanche, Paul Verlaine
 
 

Pour une étoile


Pour une étoile perdue dans le ciel
Je vois trois cent mille étoiles
Dans tes yeux d’ambre et de miel,
Pour une étoile perdue dans le ciel
Je vois trois cent mille étoiles
Briller comme des soleils.

Tu me trouves un peu distraite
Mais quand je suis près de toi
Je regarde les planètes
Que tu allumes pour moi
Comme un gentil feu de joie
Et la lune en est jalouse
Quand elle passe sur le toit.

A ces galaxies nouvelles
J’ai donné d’étranges noms
Galaxie de la querelle
Météore du pardon
Nébuleuse des passions
Et la lune en est jalouse
Au-dessus de la maison.

Pour une étoile perdue dans le ciel
Je vois trois cent mille étoiles
Dans tes yeux d’ambre et de miel,
Pour une étoile perdue dans le ciel
Je vois trois cent mille étoiles
Briller comme des soleils.

La la la …

Pour une étoile, Marie Laforêt