L’ETE 2025

Chers amis de la toile,
Voici mon propre chant en six stations marquées du sceau de cet été comme on en fera plus.
Je laisse à présent ces mots se fondre et se dissoudre dans les plages vides et fondamentales de la saison des moissons. Je les regarde avec vous saillir des hautes vagues et se noyer dans l’eau des puits creusés dans le sable. Enfin, j’abandonne les plus braves, frétillants de gaieté, aux rayons de l’astre solaire.
Cet ÉTÉ 2025 vaut bien ses lettres capitales, et quatre quartiers de noblesse d’une émeute de bruit, de sons et de couleurs.
 
 

© Marie-Amélie Tek 2025

 
 
 

STATION #0 IMMERGÉE

 
Pourtant, sous la tutelle invisible d’un ange,
L’Enfant déshérité s’enivre de soleil,
Et dans tout ce qu’il boit et dans tout ce qu’il mange
Retrouve l’ambroisie et le nectar vermeil.

Charles Baudelaire, Bénédiction
 
 

 
 

STATION #1, PARTIR

 
Je regarde le soleil qui doute, la place ovale cernée de marches, les bagages qui roulent vers les trains, les passants qui marchent vers l’heure des billets. Je me souviens en buvant l’eau de mon café, d’autres départs immuables et tant d’autres voyages.
Mon cœur se bat en chœur du plaisir de battre la campagne, le temps chaud et les chiens méchants. Dans le train, on entasse les âmes vers la mer qui boira à son gré ce troupeau docile et gai. Demain sur le sable, les avions de passage les regarderont s’étendre. Pas un seul de la masse ne se demandera qui vraiment les observe du haut des apanages. Tout se passera en bas sur le grand tapis de sable.
En arrivant ce soir nous ouvrirons le rideau au-dessus des palmiers du jardin, nous irons fouler le sol frais de nos pieds nus et regarder le ciel tomber sur la foule endormie par le bruit. Nous promènerons un parfum de framboise et de mangue sur un bâtonnet le long d’une promenade qui serpente la plage. Les fenêtres éclaireront nos pas derrière des tables garnies de tomates et de verres remplis d’allégresse.
Avec de la chance, nous reconnaîtrons Andromède et Véga, et les flèches argentées des cavaliers ailés plantées sur le banc arrimé au bout de la sente. Une ourse et son petit ourson jouerons à la dînette à deux heures dix au-dessus de nos têtes.
Nous logerons sous les petits points brillants renversés par la voûte sombre. Avant de dormir, nous dirons du bien des étoiles du ciel et des étoiles de mer semblables à l’espace.
Puis, la nuit se penchera sur mon dessin de blés salés pliés sous le poids des prophéties et des lignées éteintes. Je soufflerai la bougie après le coucher du grand soleil. Tout près des enfants bénis par l’été et la neuvaine, j’étendrai mon corps sur le lit des foins coupés par la faucille d’or du poème usé par les siècles.

À Romain.
2/8/2025
 
 

 
 

STATION #2, BÂTIR

 
Nous sommes arrivés, mon cœur s’éprend du soleil qui avec le vent tissent un voile du fil de la mer. Je m’enveloppe du grand tissu d’écailles et je délaye mes ombres dans les ailes claires d’un bateau immobile. Je me laisse porter par la vague qui revient me border du rythme lent et régulier du ressac. Un nuage de lait tombé du ciel se noie à ma suite. Les vacanciers sautent tels des chiots dans le grand bain. Le chant du bord de l’eau s’accorde au son du tam-tam des balles roses et vertes qui rebondissent contre l’air étourdi.
Les enfants creusent sans relâche des fossés noyés d’avance et entourent de murailles incertaines leurs châteaux branlants. Demain, ils recommenceront à bâtir ce que la nuit aura démoli et nous creuserons en riant de nouvelles grottes pour baigner des coquillages innocents.
Il fait bleu sur bleu pur, blanc sur grand bleu. Dans les angles de mes yeux brille un scintillement de mousse blanche d’écume. On pourrait y trouver une larme. La mer avale son dû, âpre lampée d’une année de labeur contenue dans mon corps ensablé.
Les canots gonflés comme des pneus poussent des cris d’oiseaux en cage. Les goélands ignorants survolent ce vacarme et nos poses étranges de bataille mal rangée. Sur le dos, le ventre ou mal calés sur nos côtes aigues et déformées, nous formons ensemble un grand tapis bigarré d’humanité crue.
Corps nus, bouées jaunes et terres englouties par un inconcevable large ne sont qu’une ligne glacée qui vibre en dansant sur les cils détenus de mes paupières closes.

À Hippolyte.
3/8/2025

 
 

STATION #3, CHANTER

 
Mon rêve lumineux se réveille dans la brutalité d’un jour qui ne veut pas éclore. La réalité se fond dans ce songe blanc de neige et j’emprunte une passerelle floue pour rejoindre mon dessin arc-en-ciel. Il est plein des astres nés de la veille, confondus par le monde et des hommes assoupis aux pieds de murs immenses. La couleur inonde les espaces entre les traits noirs qui forment des lettres, des mots et les sons de l’Univers. Les cernes caressent ces formes invisibles et l’harmonie triomphante du Divin.
Les constellations jetées aux quatre coins du papier retiennent mon cœur emmailloté dans sa nasse, bercé par la voix atone d’un souffle lointain. Je reconnais son chant qui se mêle à ma trace qui cherche, au creux des pierres sonnantes, par mes oreilles et antennes sensibles, le souvenir des notes disparues dans ma voie.
Ainsi des airs naissent des fils et des cordes que j’ai tissés patiemment dans ma tombe. L’instrument aux sept cordes réunies se tend de la géométrie parfaite du cosmos. Ma lyre résonne et mon chant séculaire se reconnaît dans ce matin de fièvre.
Par la fenêtre ouverte, le ciel pâle a pris le reflet d’une aile et le charme complet d’une harpe. Sur la terre anéantie, je devine derrière le front fleuri de la mer le voile mélodieux qui se lève sur l’aube.

À l’Aurore.
4/8/2025
 
 

 
 

STATION #4, BERCER

 
Le parasol se dresse comme un mât de misaine dans mon pré. Il ne cille pas d’un pouce. Pourtant, il fait air, vent, feu et sang. Droit devant, il n’y a plus que la possibilité de la mer et de ses entrailles décorées. En-dessous, tout au fond des âges, sous l’apprêt de moire, on peut entendre les vagissements étouffés de la délivrance des mères de qui nous sommes nés.
Les vaguelettes désordonnées se précipitent à mes pieds à mesure que je les observe. Les rouleaux se serrent les uns contre les autres, et vont et viennent abreuvant les douves de la forteresse prise par des enfants.
L’oreille posée contre le ventre arrondi de la mer, j’écoute les battements de son cœur. La tête la première, le reste suivant, sans direction, encouragée par le cri des mouettes rieuses, je plonge à l’intérieur de l’obscurité. Alors je n’entends plus que le corps immobile et résigné de la caverne inondée.
Je retourne chercher l’air à la surface. Respirer, c’est une mission que je me donne. Vivre ensuite, éperdument. Je forme une étoile étalée sur le dos de la mère océane, les yeux éblouis par quelque chose qui brûle et se consume irrésistiblement, plus vite que les herbes folles de l’été. Mes membres grandissent à mesure que l’espace rétrécit autour de l’astre résigné à n’être plus que le champ complet de la totalité. Assouplie par la courbe généreuse de la croûte terrestre, ondulant à son gré, gorgée d’une coupe pleine d’eau salée, l’étoile devient soleil. Je me laisse bercer par ces heures transparentes et rejoins la tendresse universelle qui accueille ma joue, mon dos, le poids de ma cambrure. De mes bras, je forme deux brins souples que je fais tournoyer dans les airs. Par magie, ils s’enlacent infiniment. C’est plus qu’une union, c’est une œuvre nuptiale.
Je joins mon souffle à la respiration du monde. Le drapeau orange décrété par la plage souffle sur mon étoile qui doucement part à la dérive. L’humain se détache et s’envole sans même besoin d’une aile marine. Puis, le surhumain survole les milliers d’étoiles oubliées et pleure, les yeux fermés, pour leurs noces éternelles, les mémoires des duos sacrés distillées dans l’ombre et la lumière réunis.
Soudain, le pavillon flottant au bout du bâton de pèlerin frissonne et ordonne. Déjà l’heure ? De mon bras de télescope, à mille lieux de la côte originelle arrachée au commencement de l’Homme, je saisis la petite pièce d’étoffe vivante dans l’air, qui, en ce jour de midi rond comme le monde, me ramène enfin à la maison.

À Bérénice.
5/8/2025
 
 

 
 

STATION #5, DANSER

 
On ne fait pas ce qu’on veut avec le vent, c’est lui qui commande. Une brise s’est levée, je la contemple émailler ma peau brune de sa caresse irisée. A présent, les paillettes recouvrent les bouées, les dos offerts à la rage du soleil et les petits biscuits de blé qui émergent de mon chargement de mule du désert. Nous sommes recouverts du baume mordoré. Le monde devient brillant, collant, saupoudré d’une étrange gaieté. C’est sûr, notre goûter va crisser sous la dent.
Les cris naviguent de gauche à droite et chassent de droite à gauche dans les airs. Les ballons sont déviés de leur trajectoire et c’est soudain toute la plage et les moteurs du large qui se fondent sournoisement dans le bourdonnement des vagues. La mer rapporte les bateaux aux quais. Nous vidons nos sceaux dans les cirques. J’emballe les enfants dans des serviettes que je noue derrière leur cou.
Puis c’est un hélicoptère noir qui rase de trop près nos monts de pelletés de sable mouillé. Je me relève des travaux arrêtés à mes pieds pour suivre le cortège. Il n’y a plus que moi sur la plage désertée. Le vent soulève les couleurs désolées de ces vacances démesurées.
Le spectacle me couche doucement sur le sable et je ferme les yeux sur la scène fanée.
Le soleil devient pleine lune, un disque définitif serti d’un ciel de chrome. La saison moissonne mon champ de blé et les biscuits secs trempés dans la mer de thé. La récolte sera bonne. Nous danserons sous la lune ronde engendrée par l’été. Et dans la course folle éclairée par la flamme d’un sémaphore, j’entends des chants gitans que crachent de vieilles guitares. Ensuite, le vent emporte les musiciens. Je devine alors au fin fond du cyclone la lyre à sept cordes qui s’allonge tout contre moi sur la natte rayée. On s’accorde trait pour trait. Je me saisis du vent qui me soulève enfin. Et toujours plus haut, foulant aux pieds les longs épis dorés rangés au firmament, au mitan de ma nuit, j’entre dans la lune et respire à sa danse.

A la Lune.
7/8/2025
 
 

 
 

STATION #6, CELEBRER

 
J’ai repris ma pose à scruter le large. Assise en lotus sur ma serviette où se dessine une ancre marine, je pense aux vrais marins. Comment manier l’octant, déterminer latitude et longitude et d’un coup d’œil avisé lire le ciel comme une carte routière ? Passer les péages, la ligne des tropiques, je ne sais quel détroit, vivre une course incertaine, espérer Éole ou lutter contre sa force : c’est inimaginable.
Je reviens de la profondeur fracassante du large à une oisiveté de surface. Je somnole sur le pont de mon esquif. Une nostalgie m’étreint, mélange diffus et inconfortable de sentiments oubliés et de regrets attendris. Je dénoue mes jambes pour retrouver le confort de ma couche de fond de calle en écoutant les enfants jeter des ponts par-dessus l’Atlantique.
J’enfonce mon chapeau sur mon crâne chaud. Je respire le délicieux parfum de la crème solaire dans mes mains. J’admire l’éclat de l’astre souverain, tamisé par les larges bords de raphia effiloché. Cercle hérissé paré de plumes, élémentaire et fondamental royaume, le soleil se pâme de ses propres rayons. Sa pulsation tambourine dans le large à mi-voix. Ce mélange de plainte et de ciel m’invite tendrement à le suivre. Je dépose mon chapeau sur le dos, un caillou à l’intérieur pour le retenir. Je profite du voyage des ailes gonflées de je ne sais quel navire géant de passage.
Je le dépasse et il n’est plus qu’un point sur l’océan. Mon cœur léger, endimanché, s’est revêtu de ses habits de fête. La parure est d’un tissu blanc lumineux, fleuri de dentelle. À mon cou enroulés, des rubans multicolores suivent ma trace sur des milliers de milles depuis le rivage qui s’efface. La robe du soir est transparente des rayons du soleil. Courte même, assez pour ne pas entraver mes pas qui accompagnent de mouvements rythmés l’inextinguible voix, le seul chant qui fasse venir le jour encore et toujours. Un chant pour bercer l’enfant, danser la ronde, célébrer l’instant-Roi.
Bercer. Danser. Célébrer. De l’est qui se cambre dans l’ombre à l’ouest vermeil qui rosit mon image, que faire jusqu’à la nuit ? Que dire au soir pour que le soleil du lendemain sache encore sa tâche, grandir, rougir, pâlir, poussé par le souffle mu par la roue ? Donner ce même refrain en vérité. Bercer, danser, célébrer. Reprendre sans trêve ce chant parmi les galons que ce soir j’accroche frénétiquement aux guirlandes des constellations réunies. Les ours sont toujours à la dînette. Orion taille sa part belle. La Croix du Sud protège son mystère.
À l’infini de mon couchant fatigué, après avoir tant tressé, noué et dénoué rubans et dentelles au dos de la grande voie lactée, je peux doucement poser des couronnes aux fronts des étoiles puînées. On dirait bien que ma vie est prête à redire sa chanson. Bercer, tendrement, caresser. Recommencer.

Au Soleil.
8/8/2025
 
 

 
 
Au fond de l’eau un rayon paraît un soleil.
 
 

 
 
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